mardi 3 janvier 2017

Des abysses dans le désert



Le shérif avançait d'un pas sûr et décidé vers le bungalow. Son enquête commençait à peine, mais son instinct lui assurait qu’il était sur la bonne voie. Grâce à sa mémoire photographique, il se remémora sans peine la discussion qu’il avait eue avec madame Waterfield quelques heures auparavant. Sa fille était partie le week-end précédent chez son petit ami et n'en était jamais revenue. Elle n'avait jamais rencontré le jeune homme, mais connaissait son nom et savait qu'il étudiait l'informatique par correspondance. Ces informations avaient suffi à l'enquêteur pour dénicher son adresse. Arrivé devant la porte, il ouvrit la moustiquaire et frappa bruyamment à la porte.

— Monsieur Dryer ? Shérif Riverpeace. Ouvrez, s'il vous plait.

La porte s'entrouvrit et le shérif aperçut la silhouette maigre de l'étudiant. Il devait mesurer un mètre quatre-vingts et pesait tout au plus soixante kilos. Des cheveux mi-longs, gras et bouclés lui retombaient sur le visage. Il dégageait une odeur nauséabonde, un mélange de transpiration et de relents d’estomac. De toute évidence, cet adulte pubertaire n'avait pas vu la moindre goutte d'eau depuis plusieurs jours. Le shérif imaginait mal un tel individu entretenir une relation intime avec une jeune fille, mais des choses plus étranges s'étaient déjà produites. Il remarqua en outre chez son interlocuteur une respiration bruyante et essoufflée. Ses yeux balayaient son champ de vision de droite à gauche sans parvenir à fixer quoi que ce soit. Cet homme était effrayé.

— J'aurais quelques questions à vous poser. Vous avez une minute ?

En prononçant cette phrase qu'il ressassait cinquante fois par jour, le représentant de la loi était loin d'imaginer où cet interrogatoire allait l'emmener et que cette enquête s'avérerait être la plus extraordinaire de toute sa vie. Steve Dryer acquiesça d'un hochement de tête, ouvrit la porte pour faire entrer le policier et la referma derrière lui. Il désigna du regard une chaise dans la cuisine, ce que Riverpeace interpréta comme étant une invitation à s'asseoir. Il prit place tandis que l’étudiant inspectait les alentours par les fenêtres.

— Monsieur Dryer, quand avez-vous vu Sarah Waterfield pour la dernière fois ?

— Désolé. Je n'ai rien à vous proposer. Je ne peux même pas vous offrir un verre d'eau.

— Ne vous inquiétez pas, je n'ai pas soif.

— Je n'ai plus une seule goutte d'eau. J'ai fermé tous les robinets, et j'ai jeté toutes les réserves que j'avais.

Le shérif avait mis l'étrange comportement de son interlocuteur sur le compte d'une frayeur ou d'une phobie quelconque, mais à la réflexion, il était mûr pour l'asile. Comment pouvait-il espérer survivre dans cette contrée aride sans boire la moindre goutte d'eau ?

— Ce n'est pas grave. Je vous dis que je n'ai pas soif. Vous n'avez pas répondu à ma question. Quand avez-vous vu Mademoiselle Waterfield pour la dernière fois ?

— Qu'est-ce que ça peut vous faire ? Elle est morte.

Le jeune homme avait parlé d'une voix à peine audible en direction de la fenêtre, son regard toujours rivé vers l'extérieur. Qu'avait-il dit ? Le shérif n'était pas certain d'avoir compris.

— Pardon ?

Le jeune homme tourna la tête et regarda le policier droit dans les yeux.

— Elle est morte, répéta-t-il à haute voix, sur un ton presque agressif.

— Que s'est-il passé ?

Dryer se força à contrôler sa peur et parvint à s'asseoir face à l'enquêteur.

— C'était il y a trois jours. Il faisait chaud, alors elle a proposé d'aller se baigner. Elle avait découvert un lac non loin d'ici. Une trentaine de kilomètres vers le sud. Une demi-heure en voiture.

Le shérif s’interrogea sur le crédit qu’il devait accorder aux dires du jeune homme visiblement dérangé. Au sud, le désert s'étendait sur des centaines de kilomètres. Il était peu probable de trouver ne serait-ce qu'une flaque d'eau. Que dire d'un lac dans lequel on pourrait se baigner ?

— Moi, j'étais pas trop pour. J'ai toujours eu peur de l'eau. Je ne sais pas nager, mais d’un autre côté, je n'ai jamais rien pu lui refuser. On y est allés tous les deux, avec ma voiture. C'était vrai, l'endroit était paradisiaque. Une immense étendue d'eau au milieu du désert de l’Arizona. On était seul au monde. On s'est couché par terre et on s'est embrassé. C'était romantique. Puis elle a voulu se baigner…
L'expression nostalgique qui avait illuminé ses traits durant quelques secondes disparut pour laisser place à la tristesse et à la culpabilité.

— Elle a essayé de m'entraîner dans l’eau, mais, comme je l'ai déjà dit, je ne sais pas nager. J'ai paniqué, j'ai crié et finalement, elle y est allée toute seule.

Un silence dramatique s'installa. La gorge du jeune homme se noua à l'évocation de ce souvenir douloureux. Le shérif lui laissa le temps de formuler ses idées.

— La dernière chose que j'ai entendue, c'est le cri strident qu'elle a poussé quand quelque chose l'a tirée vers le fond.

Riverpeace le considéra d'un air incrédule.

— Qu'avez-vous fait ?

— C'était bizarre. J'ai couru vers le lac. L'eau était très claire et je pouvais la voir. Elle ne se débattait pas. Elle ne coulait pas, mais elle ne remontait pas non plus. Elle était juste figée sous la surface. J'ai essayé de l'attraper. J'ai plongé la main, mais dès que mes doigts ont touché l’eau, j’ai senti quelque chose qui m’entraînait. J'ai juste eu le temps de retirer la main.

— Et ensuite ?

— Je me suis enfui. J'ai couru vers la voiture et je suis revenu ici. Je me suis enfermé et j'ai évité tout contact avec la moindre goutte d'eau. 

— Vous n'avez pas soif ?

— Si.

— Je vois. Pourquoi n'avez-vous pas prévenu la police ?

— Je ne sais pas. J'y ai pensé, mais… J’avais honte de l'avoir abandonnée, et j'avais peur qu'on ne me croie pas. Et puis, …

— Oui ?

— Je l'ai revue plusieurs fois depuis.

— Qui ?

— Sarah.

— Vous avez dit qu'elle était morte.

— Ce que j'ai vu n'avait rien de vivant, mais elle rôde autour de la maison. Elle est toujours trempée, et je ne la vois jamais que quelques secondes, mais elle est là, j’en suis sûr. Elle m'en veut de l'avoir abandonnée.

Des larmes dans les yeux, Steve Dryer tourna la tête vers la fenêtre et fut instantanément envahi par une frayeur indescriptible.

— Là, cria-t-il en se jetant sur le sol, vous la voyez ? Dehors.

Le shérif inspecta les environs, mais ne décela rien d'anormal.

— Désolé, je ne vois rien. Vous avez dû faire erreur.

— Vous croyez que je suis fou, c'est ça ?

— Ce n'est pas mon rôle de vous juger.

Le shérif Riverpeace prit congé de son hôte et retourna vers sa voiture. Il s'installa au volant et tenta d'éclaircir la situation. Le jeune Dryer avait visiblement vécu un traumatisme qui lui avait fait perdre la raison. Il avait besoin d'aide, c'était indéniable. S'il n'avait rien bu depuis trois jours, sa vie était en danger. La déshydratation était peut-être la cause des hallucinations dont il était victime, mais cela n'expliquait pas comment une jeune femme avait pu se noyer dans le désert. La seule théorie que le shérif pouvait émettre en ce moment était que le jeune homme avait tué sa petite amie, mais que, sous l'effet de la culpabilité et du manque d'eau, son subconscient s'était formé une réalité alternative dans laquelle son rôle était moins équivoque. La consommation de drogue n'était pas non plus à exclure. Bien sûr, toute ces théories devraient être confirmées par un spécialiste en psychologie, ainsi que par un examen toxicologique.

Il contacta la centrale par radio et demanda des renforts, ainsi qu'une assistance médicale. Une demi-heure plus tard, une ambulance arriva, escortée par deux voitures de patrouille. Deux adjoints du shérif enfoncèrent la porte et maitrisèrent le suspect tandis qu'un infirmier lui injectait une dose de tranquillisant. Il se retrouva en deux temps trois mouvements attaché sur la civière de l'ambulance qui prit aussitôt la direction de l'hôpital le plus proche.

Le shérif fit tourner la clé de contact et le moteur gronda. Il allait les suivre lorsque, du coin de l'œil, il remarqua une apparition étrange dans le rétroviseur. Une femme aux longs cheveux noirs. Il tourna la tête pour l'observer directement, mais le temps de se retourner, elle avait déjà disparu. Commençait-il lui aussi à avoir des hallucinations ? Se pouvait-il que Steve Dryer ait eu raison ?

Il devait en avoir le cœur net. Il marqua un virage à cent quatre-vingts degrés et, prenant la direction opposée à celle empruntée par l'ambulance, il se dirigea à toute vitesse vers le sud. Au bout de trente kilomètres, il s'arrêta, descendit de son véhicule et observa les environs. Rien. Qu'avait-il espéré voir, de toute façon ? Un lac en plein désert ? C'était ridicule. Il n'y avait rien. Un sol aride et rocheux à perte de vue dans toutes les directions. Quoique. Il distinguait au loin quelque chose qu'il ne parvenait pas à identifier. Il se précipita dans la voiture et en retira la paire de jumelle qu’il conservait sous le siège conducteur. Il chercha des yeux l'endroit où se trouvait ce qu'il pensait être un cactus ou un obstacle quelconque. À travers les vers grossissants des lunettes d'approche, il distinguait clairement le corps superbe de la jeune femme qu'il avait entraperçue dans son rétroviseur. Elle le regardait, immobile. Elle avait en effet de long cheveux noirs et portait pour seuls vêtements un tee-shirt trop court, ainsi qu'une petite culotte. Mais le plus étrange était que cette femme était trempée. De l'eau dégoulinait le long de ses cheveux et de ses bras. Malgré les quarante degrés qui régnaient dans cet environnement aride, ni son corps ni ses cheveux ne séchaient.

Riverpeace regagna le volant de sa voiture et suivit la direction que lui indiquait la créature. S'agissait-il de Sarah Waterfield ? Avait-elle survécu ? Tant de questions se bousculaient dans son esprit. Il essayait de trouver la théorie à laquelle tous les faits colleraient, mais peine perdue. Soit Steve Dryer avait laissé sa petite amie pour morte dans le désert et elle avait survécu, soit il avait dit la vérité. Mais la première supposition n'expliquait pas pourquoi elle était toujours trempée après trois jours de chaleur intense, ni même comment Riverpeace avait pu la voir deux fois à plus de trente kilomètres de distance. La deuxième possibilité impliquait un facteur paranormal qui aurait pu, certes, expliquer certaines choses mais que l'esprit rationnel du shérif refusait de prendre en considération.

Soudain, l’enquêteur s'arrêta net. Il venait de voir le lac dont avait parlé Dryer. Il quitta son véhicule et courut vers l'improbable étendue d'eau. C'était impossible. Il n'y avait pas la moindre trace de végétation aux alentours. Pas plus que de Sarah Waterfield d'ailleurs. Où était-elle ? Elle l'avait guidée jusqu'ici, elle ne pouvait pas avoir disparu. Il se pencha au-dessus de l'eau et remarqua à quel point ce lac était curieux. Il était incapable d'en estimer la profondeur. Il distinguait une surface très claire, mais là où il aurait dû voir un fond de sable fin, il ne discerna qu'une zone d'ombre semblable aux abysses, ces fonds marins si profonds que la lumière du soleil ne peut les atteindre. Il longea le lac sur une centaine de mètres, cherchant des yeux un endroit où le fond serait visible. En vain. Cette étendue d'eau s'apparentait plus à un bassin artificiel qu'à un phénomène naturel. Certes, sa forme arrondie et aléatoire confirmait la thèse de l'origine naturelle, mais le fait que les bords coulaient à pic sur toute la périphérie la réfutait.

Quelque chose remua dans l'eau et attira l'attention du shérif. Des cheveux. De longs cheveux noirs qui ondulaient sous la surface. Sarah Waterfield était là, exactement comme l'avait décrite Steve Dryer. Sans réfléchir à l'absurdité de la situation et ne suivant que son instinct protecteur face à une dame en détresse, il plongea la tête la première. La frayeur le saisit : au lieu de remonter à la surface, une force invisible le maintenait sous l'eau. Il retenait toujours sa respiration, mais la panique l'envahit. À grand renfort d'amples mouvements de bras et de jambes, il nagea vers le haut, tentant de vaincre un courant imperceptible. Rien. Il n'avançait pas d’un centimètre. Tous ses efforts n’eurent d'autre effet que de l'épuiser encore plus vite. Bientôt, le manque d'oxygène se fit sentir. Il ne pouvait retenir sa respiration plus longtemps. Il allait mourir. C'était inévitable et il devait l'accepter. Il ferma les yeux, ouvrit la bouche et laissa l'air contenu dans sa cage thoracique s'échapper.

L'eau emplit ses poumons, s'infiltrant par la bouche et par le nez. Par un procédé chimique spontané, les molécules d'eau se décomposèrent. Les atomes d'hydrogène se transformèrent en atomes d'oxygène et se recomposèrent en molécules d'air respirable qui alimentèrent le corps du shérif. Le processus s'inversa lors de l'expiration. Les atomes de carbone dont l'air vicié était chargé se transformèrent en atomes d'hydrogène qui se réorganisèrent en molécule d'eau qui furent expulsées vers l'extérieur.

Le shérif n'en revenait pas. Il respirait sous l'eau. Mais ce ne fut pas la seule conséquence à laquelle il dut faire face. En utilisant son système respiratoire, l'eau était parvenue à infiltrer son sang, et ainsi tous ses organes vitaux, y compris le cerveau. Riverpeace sentit une connexion s'établir entre lui et son environnement aquatique. C'était un sentiment indescriptible. C'était comme si l'eau était vivante et essayait de communiquer. Une relation symbiotique entre l'eau et l'être humain. Pas seulement ces eaux-ci. Toute l'eau de la planète n'était en fait qu'une seule conscience dotée de perception. Riverpeace ressentait l'engourdissement des eaux gelées des pôles, la sensation de légèreté des gouttes s'évaporant vers les nuages, la tension électrique des nuages orageux et la chute vertigineuses des pluies torrentielles. Il ressentait le courant du Gulf Stream, et le léger chatouillement agréable produit par chacun des êtres vivants se tortillant dans l'immensité des océans. Mais il ressentait aussi le dégout que l'eau éprouvait à chaque marée noire. Cette sensation nauséeuse produite par les radiations des déchets nucléaires que l'homme préférait immerger pour ne plus avoir à s'en préoccuper. Le shérif percevait aussi bien la paix et la tranquillité des lacs de forêt que l’horreur de chaque cloaque et de chaque fosse septique. Mais l'eau avait désormais trouvé le moyen de se défendre. Elle avait appris à se mouvoir, à se contrôler. Elle était parvenue à se frayer un chemin jusqu'à une région hostile. Goutte après goutte, elle s'était accumulée dans ce désert, à une profondeur suffisante pour survivre. Elle était parvenue à contrôler son évaporation et avait réussi à éroder ses limites extérieures. Elle concentrait toute sa volonté sur cet environnement limité qu'elle utilisait comme laboratoire. Elle expérimentait. Elle explorait sa conscience et repoussait sans cesse les limites de son champ d'action. Bientôt, elle pourrait contrôler les rivières, les mers et enfin les océans.

Le shérif Riverpeace ouvrit les yeux. Sarah Waterfield nageait devant lui. Ils étaient les premiers. Les premiers représentant d'une nouvelle espèce. Une civilisation hybride, faisant le lien entre les milieux terrestres et aquatiques. D'autres suivraient.

* * *

L'adjoint du shérif pénétra dans la chambre d'hôpital de Steve Dryer. Le shérif Riverpeace avait disparu depuis trois jours et le jeune homme semblait être la dernière personne à lui avoir adressé la parole.

— Monsieur Dryer ? J'aurais quelques questions à vous poser. Vous avez une minute ?

OFFRE PROMOTIONNELLE DU NOUVEL AN !!!


Ça y est. Nous avons tourné la page. 2016, c'est du passé. Nous pouvons nous tourner vers l'avenir et entrevoir avec optimisme 2017.

Afin de fêter ceci dignement, je vous offre ce week-end la version numérique du roman "Une filiation indésirable" . Il sera en téléchargement gratuit sur Amazon du vendredi 6 au dimanche 8 janvier 2017.

J'espère que cette nouvelle année qui commence verra la réalisation de tous vos projets. Je vous souhaite amour, chance et bonheur ainsi que beaucoup de succès dans tout ce que vous entreprenez.

Je vous souhaite une bonne lecture.

Cordialement,

Julien Drégor.

vendredi 23 décembre 2016

GRAND CONCOURS DE NOEL !!!


Gagnez un exemplaire dédicacé du roman "UNE FILIATION INDESIRABLE" de Julien Dregor.
Pour participer au concours :

- aimez la page Facebook Une filiation indésirable

- Partager la publication qui annonce le concours en mode "public".

- Commentez la publication en identifiant au moins deux amis que ce roman pourrait intéresser.

Un tirage au sort aura lieu le 31 décembre 2016. Le gagnant sera prévenu en MP.

Ce concours est limité aux pays de l'Union Européenne, ainsi qu'à la Suisse.


En attendant l'échéance du concours, je vous souhaite d'excellentes fêtes de fin d'année.

mardi 13 décembre 2016

Une couverture toute en profondeur

Ça y est. La date de sortie de „Une filiation indésirable“ est imminente. Le formatage papier est terminé depuis hier (C’est pas si simple, les marges, choisir la taille et la police des caractères, …). Aujourd’hui, j'ai terminé le formatage de la couverture et j’ai tout envoyé à l’imprimeur.

Pour mon livre, j’ai choisi la maison „Le livre en papier“, spécialisée dans l’impression à la demande. J’avais bien songé utiliser „Create Space“ d’Amazon, mais vu la thématique de mon roman, je trouvais logique de recourir aux services d’une entreprise 100% belge.

Cela a d’autres avantages : des délais de livraisons plus courts, une interface en français et un interlocuteur qui répond très vite à vos questions.

Le format électronique sera malgré tout disponible sur Amazon.



Ma couverture est donc terminée : Une perspective en contre-plongée de la Montagne de Bueren.

Pourquoi ? me demanderez-vous ?

Tout d’abord parce que cette rue est caractéristique de la ville de Liège, qui sert de décor à une grande partie de l’histoire (avec Huy, Flémalle, Grâce-Hollogne, Seraing, …). D’ailleurs, la montagne de Bueren a joué un grand rôle dans la vie d’un de mes protagonistes.

Mais la symbolique ne s’arrête pas là. Un escalier implique la supériorité et l’infériorité. La supériorité que l’on pense avoir lorsque l’on possède de l’argent ou du pouvoir, voire même les deux.

Dans mon roman, comme son titre l’indique, il est question de filiation. Qu’on le veuille ou non, nous descendons tous de quelqu’un. Pour illustrer ceci, l’escalier est également un symbole caractéristique.

Comme vous le voyez, la couverture n’a pas été choisie au hasard. Elle reflète un roman à plusieurs dimensions que vous saurez, j’espère, appréciez à sa juste valeur.

Bonne lecture !

Julien.

samedi 10 décembre 2016

EN EXCLUSIVITÉ - UNE FILIATION INDÉSIRABLE : Les deux premiers chapitres.



CHAPITRE 1

(Le 11 septembre 2014)


Noir. C'était en noir qu'Henning aurait dû repeindre les murs de son nouvel appartement, un trois-pièces de soixante mètres carrés. Sa femme, experte en feng shui, lui avait toujours ressassé les oreilles avec le fait que l'appartement reflétait l'âme du ou des propriétaires. Au moins, s'il avait repeint les murs en noir au lieu de ce blanc stérile qu'il s'était cru obligé d'acheter, ça aurait vraiment reflété son état d'esprit actuel.
— Entrez, Monsieur Müller, lui avait dit quelques mois plus tôt Hans Bernstein, le chef du personnel du Frankfurter Kurier, le journal pour lequel Henning travaillait comme rédacteur depuis cinq ans. Vous n'êtes pas sans ignorer la situation critique dans laquelle notre secteur tout entier se trouve. La digitalisation du monde de l'information a provoqué un changement de comportement chez nos lecteurs qui maintenant préfèrent l'information gratuite en ligne à l'achat du format papier. C'est pourquoi nous ne pouvons plus nous permettre d'employer autant de personnel et je regrette de devoir vous annoncer que vous êtes licencié à partir du mois d’octobre.
Henning était d'abord resté sans voix, se demandant à combien de personnes ce petit con de chef avait pu répéter ce discours appris par cœur, dénué de toute empathie. Sa vision de l'avenir s'était effondrée d'un coup à ce moment-là. Comment allait-il annoncer la nouvelle à sa femme ? Il lui avait fallu trois jours pour accumuler suffisamment de courage pour le lui annoncer. Trois jours durant lesquels il avait cherché les mots adéquats et la manière de l’exprimer. Une ou deux phrases qui auraient communiqué la triste réalité, mais sans la gravité qu'il y voyait et peut-être même en y ajoutant une note d'optimisme. Cependant, le matin du troisième jour, comme il n'avait toujours rien trouvé, il s'était surpris à dire la vérité toute crue :
— Je suis viré !
Au début, Léonore ne l'avait pas si mal pris, mais après le temps de la consolation, les disputes s'étaient multipliées, et leur relation avait fini par se rompre. Malgré les dizaines de CV qu'il avait envoyés dans toute l'Allemagne, il n'avait toujours pas retrouvé d'emploi et elle ne pouvait s'empêcher de l'en culpabiliser. Il avait donc pris un appartement dans le quartier Saint-Martin de Darmstadt, une petite ville agréable située trente kilomètres au sud de Francfort. Il avait déménagé le week-end précédent, mais il n'avait pas encore vraiment emménagé. Certes, les meubles étaient plus ou moins à leur place, mais aucune des innombrables caisses n'avait encore été rangée.
Il lui restait trois semaines de vacances à prendre avant la date officielle de son licenciement. La veille avait donc été son dernier jour à la rédaction du Frankfurter Kurier. Sachant que personne ne l'attendait à la maison, il n'était pas rentré tout de suite. Au lieu de cela, il s’était précipité dans un des bars du voisinage au nom prometteur : « Carpe Diem ». Il ne savait plus combien de bières il avait bues, mais au mal de crâne qu'il ressentit au réveil, il en estima le nombre à... beaucoup trop. Décidément, cette première journée de chômage commençait du tonnerre. La première chose qui traversa son esprit embrumé fut le mot « café ». Et ce mot seul lui donna la force de se rendre dans la cuisine.
Cette petite machine à café compacte était le seul objet qu’Henning avait déjà sorti de sa caisse et installé bien en vue dans la cuisine. Après tout, il s'agissait là d'un appareil de première nécessité. Rien qu'à entendre le moulin électrique moudre les grains de café et à renifler l'arôme torréfié qui se dégageait de ce percolateur des temps modernes, il sentit la brume qui lui envahissait le cerveau se disperser et après deux ou trois gorgées du breuvage miraculeux, il distingua même l'une ou l'autre pensée logique. Il ouvrit le réfrigérateur dans le but de se préparer un bon petit déjeuner qui lui calmerait l'estomac, malheureusement, son frigo était plus vide que tous les verres de la veille dont il gardait un vague souvenir.
Il n'y avait plus qu'un seul moyen d'éliminer les milligrammes d'alcool résiduels. Il enfila une tenue de sport, activa le lecteur mp3 de son smartphone et sortit de son appartement. Après une heure de jogging intensif dans le Herrngarten, un de ces grands espaces verts situés au cœur de la ville, il ne subsistait de la gueule de bois d’Henning qu'un léger picotement situé derrière son sourcil droit. Il avait toujours considéré le sport comme un remède à tous les maux. Bien sûr, sa condition s'était amoindrie. Il faisait moins de musculation, il buvait plus d'alcool qu'auparavant et il avait recommencé à fumer. Mais même s'il s'était légèrement empâté au cours des derniers mois, il restait un colosse musclé capable de courir une heure sans s'arrêter.
De retour dans son appartement, il prit soudain conscience de l'ennui que représentait la vie telle qu'elle s'offrait à lui. Il était seul. Il résista à l'envie de se vautrer devant la télévision et, déterminé à rendre cette journée un tant soit peu constructive, il entreprit de se consacrer entièrement au rangement des caisses pleines qui jonchaient l’appartement. Au fur et à mesure que les caisses disparaissaient et que les étagères se remplissaient, il sentait que sa vie s’améliorait. Malheureusement, ce sentiment de bien-être s'estompa rapidement. Lorsqu'il ne resta plus que trois lourdes caisses pleines d'albums photo, il s'assit sur le sol et commença à feuilleter les lourds volumes. Henning fut très vite rattrapé par la nostalgie. L'un après l'autre, il revisita les chapitres achevés de sa vie, bien conscient qu'un nouveau commençait aujourd'hui. Au fur et à mesure qu'il tournait les pages de son album de mariage, il se remémorait à quel point il avait été heureux ce jour-là. Léonore resplendissait. Henning s'en souvenait comme si cela s'était passé la veille, alors qu'en fait, dix-huit ans s'étaient écoulés depuis ce jour. Pascal, son meilleur ami à l'époque, lui avait dit lors de son enterrement de vie de garçon qu'il faisait une erreur. Henning avait mis cette réflexion sur le compte de l'énorme quantité d'alcool qu'ils avaient consommée et l'avait purement et simplement ignorée. Pascal, quant à lui, n’avait jamais plus abordé le sujet. Il avait tort. Un mariage qui dure dix-huit ans ne peut pas être une erreur. Il le dirait à Pascal la prochaine fois qu’il en aurait l’occasion. Il devait bien admettre que le contact avec Pascal s'était considérablement étiolé ces quinze dernières années, depuis qu’il était retourné vivre en Belgique. Depuis lors, ils s'étaient contentés d'un ou deux coups de téléphone par an et cela devait bien faire cinq ans qu'ils ne s'étaient pas revus. D'un seul coup, il fut projeté vingt ans en arrière. Les années de complicité qu'il avait partagées avec son ami lui revinrent en mémoire : les fêtes estudiantines, le carnaval, les soirées-guitare, les semaines de bloque et les examens. Ils s'étaient rencontrés à l'université de Mayence au début de leurs études de journalisme et jusqu'à aujourd'hui, le contact ne s'était jamais rompu. Il ressentit soudain une envie irrésistible de reprendre contact avec son ami de jeunesse et se promit de l'appeler au plus vite.
Il rangea les derniers albums sur l'étagère et regarda autour de lui avec la fierté du travail accompli. L'appartement paraissait nickel, mais également très vide. Plus de femme, plus de travail, plus d’amis. Ses réflexions déprimantes furent interrompues par la sonnerie de son smartphone. Sur l'écran apparut un numéro commençant par l’indicatif  +32 , l’indicatif de la Belgique. Il fit glisser son pouce sur la touche virtuelle verte et amena le téléphone à son oreille. Ce que son interlocuteur lui annonça le fit pâlir. Un air d'incompréhension s'imprima sur son visage. Le seul mot qu'il fut capable de prononcer à ce moment-là fut :
— Quoi ?



CHAPITRE 2

(Le 14 septembre 2014)


Un jeune homme aux cheveux longs chantait en s'accompagnant à la guitare dans la grande salle du crématorium.

Lors, montant sur ses grands chevaux,
La mort brandit la longue faux
D'agronome
Qu'elle serrait dans son linceul
Et faucha d'un seul coup, d'un seul
Le bonhomme.

Comme il n'avait pas l'air content,
La mort lui dit : « ça fait longtemps
Que je t'aime.
Et notre hymen à tous les deux
Était prévu depuis le jour de
ton baptême ».

Ce couplet attira l'attention d'Henning et lui rappela le hit allemand Er war geboren um zu leben, qui avait eu tant de succès quelques années auparavant. Jamais Henning n'avait ressenti jusque-là une douleur aussi intense en pensant à une chanson, mais c'était également la première fois qu'il devait faire face à la mort d'une manière si personnelle. Sa grand-mère était morte quand il avait cinq ans, mais cela ne comptait pas. Les enfants percevaient la mort différemment des adultes. Peut-être fallait-il d'abord avoir vécu assez longtemps pour pleinement avoir conscience de ce que l'on perd quand quelqu'un s'en va. Et comme si être triste ne suffisait pas, un sentiment de culpabilité vint s'ajouter à la montagne d'émotions qui s'entrechoquaient déjà à l'intérieur de son âme en faisant un boucan de tous les diables. Er war geboren um zu leben. Il était né pour vivre. Croquer à pleine dent la pomme de la vie, comme ils disaient dans le cercle des poètes disparus. Combien d'occasions de rire, de discuter devant un bon verre de vin avaient-ils manquées ? La distance entre Liège et Francfort n'expliquait pas tout et au fond, ce n'était pas si loin. Que sont trois cent cinquante kilomètres à l'heure actuelle ? Il avait l'impression d'avoir appuyé sur la touche « pause » de sa télécommande, le temps de vivre une autre vie, et qu'un jour, il pourrait reprendre sa vie là où il l'avait interrompue. Malheureusement, ce ne sera plus possible maintenant qu'un cinglé avait tiré une balle dans la tête de son ami. La tristesse se transforma en une colère indescriptible qui lui brûlait les tripes. Une colère envers la terre entière, mais surtout dirigée contre lui-même.
Entre-temps, le guitariste avait arrêté de chanter et cédé la place au maître de cérémonie qui lisait un extrait du « Petit Prince ». Pour Henning, il s'agissait d'une cérémonie funèbre on ne peut plus inhabituelle. Il n'y avait ni prêtre ni pasteur pour diriger la cérémonie, seulement un employé du crématorium. Autre fait curieux, il ne releva aucune allusion à Dieu, aucun passage biblique servant de fil rouge à la cérémonie. Au lieu de cela, chacun pouvait dire quelques mots, lire un poème ou chanter une chanson. Il se souvint de vives discussions sur la religion qu'il avait eues avec Pascal au bar de l'université. Pascal était un athée convaincu et affirmait à qui voulait l'entendre qu'il fallait réduire l'influence des religions sur la société. Henning pensait plutôt que les religions étaient nécessaires, notamment pour confirmer le caractère chrétien de la population. Après tout, la plupart des lois actuelles sont fondées sur les dix commandements et sur les lois du christianisme. Pascal aurait répondu que les Grecs, les Romains et les Égyptiens avaient proscrit le meurtre et le vol bien avant la naissance du Christ, mais le colosse germanique n'en était pas plus convaincu pour autant. Des athées comme Pascal, il y en avait en Allemagne aussi, mais ils restaient très minoritaires. Henning avait toujours pris son ami pour un oiseau exotique, mais apparemment, ce phénomène était beaucoup plus répandu en Belgique qu'en Allemagne s'il y avait des enterrements laïques.
Après la lecture du Petit Prince, une jeune femme prit la parole :
— Je voudrais rendre hommage, au nom de l'équipe du journal Liberté nationale, à cet excellent collaborateur qu'était Pascal Blanchard. Il était non seulement un journaliste exemplaire, mais c'était aussi un ami très cher pour beaucoup d'entre nous.
À ces mots, Henning sentit sa culpabilité remonter à la surface. Étaient-ils, lui et Pascal, de très chers amis ? Certes, ils l'avaient été lorsqu'ils étaient ensemble à l'université, mais c'était il y a longtemps.
— C'était un rédacteur minutieux, prenant toujours soin de vérifier ses sources. Il menait des enquêtes dignes de Sherlock Holmes. Jamais il n'aurait écrit quelque chose dont il n'était pas sûr à cent vingt pour cent. Pascal était un vrai justicier, traquant la vérité, où qu'elle soit. Il a par exemple suivi de près le dossier du Monstre de Charleroi, l’affaire de pédophilie qui a secoué notre pays il y a quinze ans. Durant quatorze mois, il a enquêté sans relâche pour retrouver les fillettes disparues. Depuis, il n’a cessé de combattre l’injustice avec son arme de prédilection : la vérité. Il a aidé à rendre ce monde un peu plus sûr et je lui en serai à jamais reconnaissante. Il va me manquer.
Il y avait tant d'émotion dans la voix de la jeune femme qu’Henning ne douta pas une seconde de sa sincérité. Il se demanda même si leur relation n'allait pas plus loin qu'une simple amitié. Était-il possible que son ami ait eu une aventure extraconjugale ? Henning ne l'en aurait pas blâmé : cette femme qui se tenait devant lui et qui portait Pascal aux nues était très loin d'être affreuse, que du contraire. Elle devait avoir la trentaine et faisait preuve d'un charme à toute épreuve. Ses longs cheveux noirs bouclés lui tombaient sur les épaules et encadraient de manière adorable son visage rond. Juchée sur de hauts talons qui lui allongeaient les jambes, elle était presque aussi grande qu'Henning. Son petit tailleur noir était certes de circonstance, mais la manière dont ses jambes en sortaient lui donnait un air sexy qui ne paraissait pas avoir sa place dans cette ambiance sérieuse, triste et grise. Henning sentit cette image lui transpercer les pupilles et s'imprimer dans son cerveau. Il savait qu'il se souviendrait de ce moment toute sa vie.
La cérémonie se termina par une procession vers le cimetière proche du crématorium, où eut lieu la dispersion des cendres sur la pelouse cinéraire, et par la longue litanie de condoléances à la famille. C'était bien là la seule chose commune avec les célébrations religieuses allemandes auxquelles il avait assisté jusque-là. Il se rangea dans la file qui s'était formée devant la veuve. Lorsqu'il arriva devant Cathy, il se rendit compte que tout ce qu'il pensait dire sonnait creux et vide, tant toutes ces formules de circonstance étaient ressassées à chaque enterrement. Vraiment difficile d'être original dans ces cas-là. Il balbutia néanmoins avec son léger accent allemand :
 — Je suis désolé, Cathy. S'il y a quelque chose que je peux faire, n'hésite pas à m'appeler.
— Je suis contente que tu sois venu. Je sais que ça lui aurait fait très plaisir. Passe me voir demain à la maison. On pourra parler plus longtemps.
Il acquiesça avant de laisser la place aux suivants. Il s'écarta un peu pour fumer une cigarette.
— C'est une mauvaise habitude, lui lança une voix derrière lui.
Il se retourna et se retrouva face à face avec la femme aux cheveux noirs qu’ il avait déjà remarqué durant la cérémonie.
 — Je sais, mais vu les circonstances, je n'ai aucun remords à me dire que j'arrêterai un autre jour.
— Très bon argument. Vous pouvez m'en donner une ?
Henning lui tendit son paquet de cigarettes avant de se présenter pour entretenir la conversation.
— Henning. Henning Müller.
— Marie Dulac. Vous êtes allemand ?
— Coupable, répondit-il en riant.
— Vous connaissiez bien Pascal ?
Henning tira un coup sur sa cigarette avant de répondre.
— Il fut un temps où on se connaissait bien. On était ensemble à la fac, en Allemagne, mais vous savez ce que c'est, avec le temps et la distance, on se perd un peu de vue.
— Oui, c'est vrai qu'il avait fait ses études en Allemagne. À Mayence, n'est-ce pas ?
— Exact. Et vous ? D'après ce que j'ai pu comprendre, vous étiez très proches de Pascal.
— Oui, si l'on veut. Sur le plan professionnel. On travaillait ensemble depuis trois ans. Ça crée des liens. Il m'a beaucoup aidée quand j'ai commencé.
Henning remarqua qu'il avait été tellement choqué par la mort de son ami qu'il n'avait même pas encore cherché à savoir pourquoi il avait été abattu.
— Vous êtes journaliste, n'est-ce pas ?
— Oui.
— Vous savez sur quoi il travaillait ? Peut-être que ça a un rapport avec sa mort.
— Non, pas vraiment. Je l'ai vu le soir de sa mort, avant qu'il ne quitte le journal. Il a dit qu'il était sur un gros coup, mais comme je l’ai dit tout à l'heure, il ne s'exprimait jamais sur quoi que ce soit avant d'être vraiment sûr de ce qu'il avançait.
— Et la police, qu'est-ce qu'elle en dit ?
— Pas grand-chose jusqu'à présent. J'ai quelques contacts à la police locale, mais pour l'instant, nichts, rien, nada. Nous savons juste qu'il est mort d'une balle dans la tête jeudi dans la soirée, devant son domicile, en sortant de sa voiture.
— C'est Cathy qui l'a trouvé ?
— Oui, elle a entendu la voiture, mais comme il tardait à rentrer, elle est sortie et l'a trouvé allongé dans l'allée du garage.
S'en suivit un long silence, aucun des deux ne voyant rien à ajouter.

(...)

À SUIVRE ...