samedi 5 mai 2018

Jakob Hollbein : médecin légiste à l'institut médico-légal de Francfort.

Aujourd'hui, j'aimerais partager avec vous cette scène rédigée hier soir et dans laquelle je vous présente le médecin légiste de mon roman en cours d'écriture : Jakob Hollbein. 

Je vous transmets cet extrait, sans garantie aucune qu'il sera tel quel dans la version finale (Vous savez ce que c'est : à la fin, on coupe, on modifie, on rallonge, ... ), mais je vous souhaite autant de plaisir à découvrir ce personnage que j'en ai eu à l'imaginer. La rédaction d'un roman est un processus très long, et cela risque de durer encore quelques mois (voire des années ?) avant que vous ne l'ayez entre vos doigts, mais je pense vous tenir au courant sur ce blog de l'état d'avancement du roman. N'hésitez pas à y revenir de temps en temps.


"Jakob Hollbein enrageait. Il s’était dépêché de boucler l’autopsie, comme les commissaires chargés de l’enquête l’avaient exigé, mais jusqu’à présent, personne ne l’avait encore contacté. Il avait téléphoné la veille, mais personne ne lui avait répondu. S’il avait su, il aurait pris son temps. Il adorait passé ses soirées à l’institut médico-légal et il avait toujours l’impression d’être plus productif la nuit que le jour. C’était pas comme si quelqu’un l’attendait à la maison. Hollbein était un célibataire endurci, même si cet état de chose était loin d’être volontaire. Il avait une vraie passion pour son métier, mais malheureusement, c’était aussi la seule qu’il était capable de partager avec les rares membres de l’espèce féminine qu’il lui arrivait de côtoyer. Même si aux premiers abords, elles frémissaient à l’idée qu’elles se faisaient d’un médecin légiste, elle changeaient d’avis dès qu’il ouvrait la bouche. Contrairement à ce qu’elles avançaient, discuter de tumeurs au cerveau, de ventricules défaillants et d’intestins en décomposition ne lui avaient jamais permis de dépasser le stade du premier rendez-vous. Et lorsqu’il tentait d’éviter le sujet, il restait silencieux et indécis car il ne maîtrisait aucun autre sujet de conversation. Il avait donc accepté depuis longtemps que les seuls qui retiraient du plaisir de sa compagnie étaient ses « pensionnaires », comme il les appelaient. Et il le leur rendait bien. Il entretenait une véritable relation avec eux. Pas charnelle, non, mais intellectuelle. Il leur souhaitait la bienvenue à leur arrivée et, avant même qu’ils s’en soient rendu compte, ils étaient embarqués dans une discussion philosophique. Rien d’étonnant donc à ce qu’il préfère travailler la nuit. Au moins, il est seul avec ses « pensionnaires ». Au cours de la journée règne toujours une certaine agitation, raison pour laquelle il tente de freiner au maximum ses macabres discussions. Il ne se souciait guère du monde extérieur, mais il tenait à son boulot. Il se complaisait dans son rôle d’excentrique, mais si le monde extérieur venait à suspecter une aliénation mentale, qui peut dire combien de temps il pourrait encore exercer. Il avait donc disséqué la victime du parc de la Nidda en silence, en compagnie d’un jeune stagiaire boutonneux qui, trop impressionné par l’aura de monstre sacré du légiste, peinait à atteindre le niveau de conversation des morts.
Les deux commissaires venaient d’annoncer leur visite par téléphone et Hollbein les attendait.
— Tu es sûr que je peux le leur dire ? demanda-t-il au cadavre allongé dans l’un des tiroirs en aluminium. Il s’agit quand même de quelque chose de personnel.
— C’est gentil. Je ne pense pas que ça les aide dans leur enquête mais on moins, on ne me reprochera pas de passer des informations sous silence.
— Quelles informations, doc ?

Le légiste sursauta. Le commissaire principal Fatih Almedir, accompagné de son équipier le commissaire Leon Bracht, venaient d’entrer dans la salle d’autopsie."

jeudi 12 avril 2018

Ma fenêtre sur le monde

Ma fenêtre sur le monde.

Je m’appelle Sarah, j’ai 10 ans. Il y a cinq mois, le jour de mon anniversaire, j’ai appris trois nouvelles, deux bonnes et une mauvaise. La veille, Il m’avait demandé ce que je voulais en cadeau. « Une télévision », je lui avais répondu. Il m’avait regardé d’un air surpris, puis m’avait laissée dormir. Je ne croyais pas vraiment en la réalisation de mon souhait. Il m’avait toujours interdit de regarder la télé. Il disait qu’elle abrutissait les gens et que le niveau des émissions actuelles dépassait à peine le ras des pâquerettes. Imaginez alors ma surprise lorsqu’il entra dans ma chambre, le matin de mon anniversaire, chargé d’un vieux poste de télévision qu’il installa sur la commode en face de mon lit. Il y brancha un vieux lecteur de cassettes vidéo à l’aide d’un long câble blanc. Puis, Il me tendit un paquet à déballer. La surprise n’était plus très grande après l’installation de tout ce matériel, mais je ne pus m’empêcher de verser une larme. Ce n’était pas grand-chose, mais j’allais enfin pouvoir permettre à mon esprit de s’évader quelque peu. Le paquet contenait trois cassettes VHS : « Dumbo », « Pocahontas » et une série de courts dessins animés. Bien sûr, je connaissais les deux premiers films, mais j’étais impatiente de les revoir. Je m’ennuyais tellement. Il inséra « Pocahontas » dans la fente du magnétoscope et m’en expliqua le fonctionnement. Je n’avais encore jamais vu un tel appareil. Avant, je regardais des vidéos sur youtube, sur mon portable, mais dans ma situation, ce n’était plus possible. Cependant, je me souvenais de mon père m’expliquant que, quand il était jeune, les films étaient enregistrés sur des bandes magnétiques enroulées dans une petite boîte noire. En cet instant, je me sentais plus proche de mon père que jamais auparavant. Il me manquait.
Il s’installa à côté de moi et nous regardâmes ensemble le début de l’histoire de la pauvre indienne dont le territoire fut envahi par les blancs et qui finit par devenir leur propriété. Puis, Il dût partir. Il se leva et disparût derrière la porte de ma chambre. Je suppose qu’Il devait aller travailler. Je suppose, car Il ne m’a jamais dit ce qu’Il faisait comme métier, ni où Il devait aller lorsqu’Il s’absentait quelques heures. Chaque fois que je Lui posais la question, Il évitait d’y répondre. Soit Il faisait semblant de ne pas m’avoir entendue, soit Il changeait de sujet en me posant une autre question. J’ai donc continué toute seule le dessin animé.
Après le générique de fin, j’appuyai, comme Il me l’avait expliqué, sur la touche « eject » du magnétoscope qui recracha la cassette instantanément. Je la retirai et la remplaçai par celle étiquetée « dessins animés ». Il s’agissait de vieux enregistrements. France 2 s’appelait encore Antenne 2 à l’époque. La qualité était médiocre, en tout cas à mon humble avis, moi qui avais grandi dans un monde où la haute définition régnait en maître sur tous les standards audiovisuels. Mais je ne pouvais pas me plaindre, c’était mieux que rien. Après le premier court-métrage, un épisode muet de « Tom et Jerry », commença une version animée du « petit chaperon rouge ». Des personnages aux grands yeux et aux grimaces exagérées, des couleurs surchargées et des bruitages assourdissants, un manga dans toute sa splendeur. Le court-métrage ne dura que quelques minutes, mais au fur et à mesure de l’histoire, un malaise de plus en plus désagréable me saisit. Dès que le grand méchant loup eut englouti le petit chaperon rouge, j’interrompis la lecture de la cassette vidéo. J’étais incapable de continuer. Je ne comprenais pas ce qu’il m’arrivait. Je n’étais plus une enfant et je connaissais ce conte par cœur, mais impossible d’aller plus loin. J’étais sur le point de vomir. J’éteignis l’appareil pour mettre un terme à la neige qui grésillait sur l’écran.
Soudain, j’eûs une idée. Dans un coin de ma chambre, entre le mur et la table de nuit, j’avais découvert quelques semaines auparavant une prise de courant inhabituelle. En fait, non. Pas inhabituelle. Je savais parfaitement que c’était dans ce genre de prise qu’on branchait la télévision. Je me souvenais avoir vu mon père installer son tout nouveau système « home cinema ». À l’époque, je l’avais observé, fasciné par la simplicité avec laquelle cet homme que j’aimais de tout mon cœur assemblait ce monstre composé de câbles et de boitiers en plastique.
Je me mis à analyser le téléviseur et le magnétoscope. Je retirai le câble qui reliait un appareil à l’autre et tentai de l’introduire dans la prise dissimulée derrière ma table de nuit. Il s’emboita à la perfection. Malheureusement, il était trop court pour atteindre l’imposant tube cathodique. Pour la première fois, je perçus comme un point positif le fait que ma chambre ne soit pas énorme. Il me suffit de pousser la commode quelques dizaines de centimètres vers la gauche et de faire pivoter l’appareil pour l’amener à portée du long fil blanc. C’est ainsi que j’appris la deuxième bonne nouvelle de cette journée d’anniversaire. La plupart des chaînes étaient brouillées, mais je parvins à en capter une plus ou moins bien. Quelle ne fut pas ma surprise de voir mon portrait s’afficher en grand sur l’écran. J’augmentai le volume. C’était une émission spéciale. L’image changea et me montra mes parents. Je ne pouvais plus retenir mes larmes. Mes parents. Je pouvais à peine le croire. Tout ce temps, Il m’avait dit qu’ils ne m’aimaient plus, qu’ils m’avaient abandonnés, que personne ne me recherchait. Il avait réussi à me convaincre, jusqu’à ce jour-là. Je regardai mes parents pleurer en direct à travers les yeux d’un caméraman de télévision. Je ne pouvais rêver meilleur cadeau : revoir mes parents, eux dont je n’avais plus eu la moindre nouvelle depuis … j’ignorais depuis combien de temps j’étais Sa prisonnière. Deux mois… Trois mois peut-être. J’écoutai l’émission. D’après la présentatrice, j’étais portée disparue depuis presque six mois. Six mois… Et mes parents continuaient à se battre pour me retrouver.
L’image changea à nouveau. Son portrait apparut. Une vague d’espoir m’envahit. La police L’avait retrouvé. Les enquêteurs avaient découvert qu’Il m’avait enlevée. Je pouvais à peine le croire. À partir d’aujourd’hui, tout irait mieux. Il allait être arrêté et j’allais enfin pouvoir sortir de cette chambre exigüe. Jamais plus Il ne viendrait se coller contre moi. Jamais plus Il ne me forcerait à prendre ma douche avec lui, les seuls moments où j’avais l’occasion de quitter les quelques mètres carrés qu’il m’avait assignés, ma chambre. C’en était fini de la reconnaissance que je devais Lui témoigner chaque fois qu’Il m’offrait quelque chose, un livre, une peluche. Je n’aurai plus jamais à L’embrasser ou Le caresser. J’allais pouvoir oublier le goût immonde de Son sexe. Jamais plus je ne Le sentirai entre mes jambes. Désormais, mes jambes seraient à moi et à personne d’autre. J’allais enfin retrouver mes parents, mon frère, mon chat et ma maison. J’allais enfin être libre. J’étais aux anges.
      L’édition spéciale continua en me révélant la première mauvaise nouvelle de la journée. Interpelé par la police, Il avait fui. Il était armé et avait tiré sur les gardiens de la paix. Ceux-ci avaient riposté. Il n’avait pas survécu. Soudain, un doute m’assaillit. Allait-on me retrouver ? Il m’avait souvent répété que personne ne viendrait me chercher ici. Cette maison était à la campagne, à l’écart de toute civilisation. Enfin c’est ce qu’Il m’avait dit. Je ne voyais rien de la fenêtre de ma chambre. Elle était condamnée par un mur de brique. Je me souvenais qu’un jour, il m’avait avouer que cette maison ne lui appartenait pas et qu’il serait difficile de remonter jusqu’à lui. Il avait raison. J’eus beau hurler en espérant que quelqu’un m’entende, je ne reçus aucune réponse.
Heure après heure, je suivais l’enquête à la télévision. Tous ses biens immobiliers furent fouillés de fond en comble, mais jamais personne ne m’a retrouvée. Au bout de deux jours, la faim devint insoutenable. De plus en plus faible, je cessai de hurler. Les dernières heures, je les passai à scruter mes parents au hasard des journaux télévisés. Je voyais le doute sur leur visage, leurs larmes. Je les suppliai à travers l’écran de me retrouver. Mais personne ne vint.

Aujourd’hui, je suis libre. J’ai quitté ce corps trop lourd et je suis rentrée chez moi. J’accompagne mes parents à chaque instant de leur vie. Je m’assieds à côté de mon père dans le divan et nous regardons ensemble sur grand écran les scènes de ma vie trop courtes qu’il avait immortalisées avec son portable : mes premiers pas, mes premières chutes en vélo, mes représentations de danse. J’accompagne ma mère chez la coiffeuse, comme nous le faisions avant et, même si je sais qu’il ne m’entend pas, avant qu’il ne s’endorme, je raconte à mon petit frère des histoires que j’invente au fur et à mesure. Ils continuent de me chercher et, bien qu’au fond de leur âme, ils connaissent la vérité, ils refusent de perdre espoir. Je voudrais tant les libérer de cette responsabilité, leur faire comprendre que tout est terminé mais je n’ai aucun moyen de leur signaler où je suis. La villa dans laquelle Il m’avait enfermée est trop bien cachée, perdue au fond d’un bois. Elle est devenue mon tombeau. Un jour, elle sera rasée avec les arbres qui l’entourent pour faire place à un parking de supermarché. D’ici là, je vis dans la crainte de sombrer dans l’oubli, mais je fais confiance à mes parents : tant qu’ils penseront à moi, je continuerai d’exister.