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mercredi 1 novembre 2017

Quels acteurs pour incarner mes personnages?

Ma mère m'a souvent dit qu'en lisant "la soupe au choux", elle avait toujours imaginé Georges Brassens et René Fallet dans les rôles principaux. Elle trouvait que la complicité entre les deux vieillards correspondaient parfaitement aux deux artistes, à croire que le roman avait été écrit pour eux. Ceci dit, il était fort possible que ce soit le cas, étant donné l'amitié qui liait l'auteur, René Fallet, et le chanteur, Georges Brassens.

En ce qui me concerne, en écrivant "Une filiation indésirable", j'ai eu une approche un peu différente selon les personnages.

Le protagoniste doit son apparence en grande partie à son prénom. Je voulais un prénom typiquement allemand. J'ai d'abord pensé à Heinrich, mais ça fait un peu vieillot. Il me fallait un prénom exotique, mais je désirais sortir des clichés sur la seconde guerre mondiale. J'ai donc opté pour la version plus moderne et plus répandue en Allemagne : Henning.

Une fois le prénom décidé, l'acteur s'est imposé naturellement : Henning Baum, un acteur allemand dont la carrure correspondait exactement au personnage que j'avais en tête : un colosse sentimentalement blessé, dont le couplé bat de l'aile et venant de perdre son emploi.

Henning Baum


Le personnage de Marie Dulac, en revanche, n'a pas d'homologue dans la vie réelle. J'ai une vision très claire de son apparence, mais elle entièrement issue de mon imagination. Jeune et de taille moyenne, de longs cheveux noirs, je verrais très bien l'actrice britannique Jenna Coleman dans ce rôle, même si elle ne correspond pas tout à fait à l'idée que je me faisais de Marie au départ.

Jenna Coleman


Qu'en pensez-vous ? Vous avez lu "Une filiation indésirable" ? Quels acteurs engageriez-vous pour jouer les rôles principaux ?

Vous êtes écrivain ? Pensez-vous à un acteur ou une actrice en particulier lorsque vous rédigez votre roman ?

Vous êtes lecteur en général ? Imaginez-vous parfois l'un ou l'autre personnage célèbre en découvrant un personnage au fil de vos lecture ?

N'hésitez pas à partager vos expériences. La zone "commentaire" est là pour ça.

À bientôt,

Julien.

samedi 7 octobre 2017

Paradis

Il faut que je vous explique. Je suis fan d'un groupe de Rock allemand, probablement inconnu en France, appelé "Die Toten Hosen". Je sais, les"pantalons morts", en français, ça ne sonne pas très bien. On en arrive à se demander comment ils ont pu avoir un tel succès en Allemagne avec un nom pareil.

Cette petite vidéo a été réalisée dans le cadre d'un concours organisé par une chaîne de radio allemande. On pouvait gagner des places pour un concert privé (200 personnes maximum). La dernière fois que j'ai vécu quelque chose de semblable, c'était le concert gratuit de Renaud à la cigale il y a 10 ans et j'en garde un souvenir phénoménal.

Pour participer, Il fallait juste envoyer une vidéo de sa propre interprétation d'une de leur chanson. Les gagnants seraient tirés au sort. Or, il se trouve que j'en ai traduit une il y a quelques années. (Enfin, c'est plus une adaptation en Français qu'une véritable traduction. On ne peut pas traduire une chanson, sinon elle perd tout son sens). Autant vous dire que je me suis rué sur mon Smartphone pour l'enregistrer. A capella. C'était une des règles du concours. Je crois qu'ils ne voulaient pas favoriser les musiciens professionnels.   

La chanson choisie s'appelle "Paradies" en allemand. Vous l'aurez compris, ça veut dire "Paradis" en français. Une chanson légèrement philosophique, mais surtout ironique (du moins à mon avis) qui rejoint un peu au niveau du texte la chanson "le mécréant" de Georges Brassens.

"Je n'ai jamais tué, jamais violé non plus, il y a déjà quelques temps que je ne vole plus. Si l'Éternel existe, enfin de compte il voit que je ne me comporte pas plus mal que si j'avais la foi".

Pour vous donner une idée, voici la vidéo de la version originale :


Et voici ma modeste version a capella :



Qui peut dire ce qu'il y a derrière
Ce grand mur sans fenêtre
Si la vie était un examen
Qui comptait pour des points.

Qui réussit avec vingt sur vingt
Major de promotion
L'éternité est au bout du chemin,
Pour les autres, la réincarnation.

Ils reviennent en flics ou en curés,
En touristes, en pompiers,
En clowns qui ne font plus rire personne,
En affreux petits bonshommes.

Pour éviter ce destin immoral,
Il faut se donner du mal.
Faire chaque jour sa prière du matin,
Se conduire en bon chrétien.

Et pour être sûr d'avoir une vie heureuse
Après le passage de la faucheuse,
Y en a qui vont chaque jour à confess
Soulager leur âme pêcheresse

J'irai pas au Paradis,
Car c'est bien trop dur, non merci.
Si ça veut dire rester sur terre, tant pis,
Je reste avec mes amis.


Malheureusement, je n'ai pas été tiré et au sort. Il ne me reste plus qu'à payer ma place et à aller au concert grand public, mais la vidéo n'est pas perdue, puisque ça me donne l'occasion de la partager avec vous. N'hésitez pas à me faire part de vos commentaires.

À bientôt.

mardi 14 février 2017

Ce que j’ai appris à éviter avant de publier mon roman en auto-édition.


Cet article s’ajoute à une longue série disponible sur internet, mais peut-être aidera-t-il quelqu’un dans le besoin, débutant dans l’auto-édition, tel que je l’étais il y a encore quelques mois. Je ne me considère pas comme étant un expert pour autant, mais l’auto-publication de mon roman m’a permis d’acquérir une certaine expérience dans le domaine, fruit de longues recherches sur la toile. 

Nous sommes en 2017 et publier le roman sur lequel on travaille depuis des mois (voire des années) est désormais à la portée de n’importe qui. Nombre d’imprimeries offrent aux auteurs un service gratuit d’impression à la demande et vantent la simplicité de voir son livre imprimé, relié et disponible à la vente sur une plate-forme en ligne. Que de demander de plus quand on fait partie des 96 pour cent d’auteurs refusés par les maison d’éditions traditionnelles ? 

Je remarque cependant que la facilité avec laquelle l’auteur s’auto-publie peut être accompagnée d’un certain amateurisme qui risque de porter préjudice. C’est pourquoi je trouve opportun (et important) de vous faire part de mon expérience personnelle. 

Vous êtes seul responsable du contenu que vous publiez.


Je remarque souvent au fil des commentaires sur les réseaux sociaux une confusion entre édition et publication. Pour beaucoup, quand le livre est terminé et disponible à la vente, il est édité. Non ! Il est publié, ce qui représente une énorme différence. Un livre édité est passé par une maison d’édition, ce qui signifie que l’éditeur a, à ses frais, fait corriger professionnellement le manuscrit, a fait réaliser une couverture par un graphiste ayant fait ses preuves et a formaté votre document Word pour son impression.

Un service d’auto-édition ne fait rien de tel. On imprimera ce que vous enverrez tel quel, à moins que vous ne les engagiez à titre personnel (et donc de votre poche) pour réaliser les corrections ou la couverture. Ce n’est pas un reproche que je leur fais, car les choses sont claires dès le début. Cependant, si, comme moi, vous hésitez à débourser plusieurs centaines d’euros dans la réalisation de votre premier livre et voulez quand même tenter l’expérience de l’auto-édition, vous devez garder plusieurs choses à l’esprit.

L’orthographe.


J’ai une formation de professeur de français, ce qui me donne, du moins le pensais-je au début, un statut de correcteur professionnel. C’est vrai, que fait un professeur de français toute la journée si ce n’est des corrections ? Imaginez mon effroi lorsqu’un ami à qui j’avais fait lire le manuscrit me l’a renvoyé avec en commentaire : « L’horrographe et toi, ça fait deux ». Des fautes d’accord, de grammaire, de lexique, etc. alors que j’avais déjà relu deux fois et corrigé énormément d’erreurs. Ne faites pas confiance à votre orthographe, si calé que vous le soyez dans votre vie privée et/ou professionnelle. Utilisez un logiciel comme Antidote qui retrouvera un grand nombre d’erreurs et vous indiquera les passages où il pourrait y avoir des fautes. Le logiciel met également en évidence les répétitions de mots. Laissez votre manuscrit se reposer quelques semaines avant de le relire. Et relisez plusieurs fois, sur écran et sur papier, à voix haute et à voix basse et en vous concentrant sur chaque mot. Ne lisez plus votre histoire, posez les yeux pendant deux ou trois secondes sur chaque mot et demandez-vous s’il ne faut pas un accord. Si vous vous en sentez capable, lisez votre livre à l’envers pour vous concentrer sur les mots et non sur l’intrigue.

Le formatage.


Un ouvrage qui m’a beaucoup aidé, c’est celui-ci :

« Présentez votre manuscrit littéraire comme un pro en cinq étapes » de Dominic Bellavance.

https://www.amazon.com/Presentez-manuscrit-litteraire-etapes-French/dp/1522869441

Ce livre s’adresse aux auteurs désireux de voir leur manuscrit atterrir sur le bureau d’un éditeur et de laisser une bonne impression. Mais certains conseils s’appliquent également aux auteurs auto-édités. 

Le tiret cadratin.


Un des chapitres les plus importants concerne l’utilisation du tiret. Pour écrire des dialogues, on utilise le tiret cadratin (−) qui se différencie du tiret normal que l’on utilise pour écrire un mot composé (-). Vous me direz qu’il s’agit d’un détail, mais il a son importance et peut être facilement évité. Un livre qui ne respecte pas les normes de typographie, c’est comme des pâtes sans sel. C’est un détail que le lecteur (ingrat) ne remarquera pas, mais qui lui sautera aux yeux négativement si vous ne le faites pas. Si l’intrigue l’accroche, il continuera peut-être mais vous excluez d’office tous les puristes qui vous catalogueront d’amateur avant même d’avoir pu donner une chance à votre histoire.


Les alinéas.


Le style français demande encore et toujours un alinéa en début de paragraphe. Celui-ci ne doit pas être grand (5 mm suffisent), mais il doit être visible, même devant les dialogues.

La police de caractère.


Si vous voulez soumettre votre manuscrit à une maison d’édition, pas de fioritures. Times New Roman est parfait. Une interligne de 1,5 et les marges standards de Word. Si vous utilisez cette police lors de l’impression de votre roman, attendez-vous à recevoir les critiques de ces mêmes puristes qui ne vous pardonneront pas de ne pas employer le tiret cadratin. Times New Roman, Arial et Calibri sont des polices de caractères utilisées dans la vie quotidienne, mais inadéquates dans le domaine littéraire.

Garamond reste la police littéraire la plus employée. J’ai moi-même hésité à l’utiliser, mais elle m’a posé un problème de taille. Je me suis rendu compte qu’en taille 12, Garamond était beaucoup trop grand par rapport aux marges que m’imposait l’imprimeur, tandis qu’en taille 11, le texte était presque illisible. J’ai résolu le problème en utilisant Book Antiqua, une police plus compacte mais lisible malgré tout. D’où mon prochain conseil : imprimez une ou plusieurs pages de votre roman avant de l’envoyer à l’imprimerie et vérifiez la lisibilité. Certains auteurs auto-édités n’hésitent pas à acheter en ligne une licence pour une police de caractère professionnelle. Si celles de Word ne vous satisfont pas, vous pouvez en faire autant, mais posez-vous la question de savoir si cela en vaut la peine. Cherchez sur internet des témoignages d’auteurs et renseignez-vous sur les expériences qu’ils ont pu faire avec une écriture payante.

Après ce tour d’horizon des erreurs les plus faciles à éviter, il ne me reste qu’à vous souhaiter bonne chance dans la réalisation de votre projet. N’hésitez pas à laisser vos commentaires si vous avez des questions ou si vous désirez compléter la liste.

Cordialement,

Julien.

jeudi 19 janvier 2017

Un extrait de "une filiation indésirable".



RWANDA, LE 6 AVRIL 1994 
   
     Deux tirs successifs. Greg reconnut tout de suite le bruit caractéristique d'un missile. Deux longs sifflements, l'un après l'autre. Enfin un peu d'action. Cette journée avait été d'un ennui indescriptible. Après l'aventure qu'il avait vécue la veille, il avait pensé, à tort, que la machine était lancée et qu'il aurait désormais de plus en plus l'occasion de montrer ce dont il était capable.

     Debout à six heures, il avait commencé sa journée par une séance de sport intensif à l’intérieur du camp. Rien de tel pour se mettre en forme. Ensuite, il s'était rendu au briefing de la matinée, où il avait eu la désagréable surprise d'apprendre que leur mission du jour consistait à escorter une délégation de Tutsi dans la région des Grands Lacs. Non, mais pour qui les prenait-on ? Pour des baby-sitters ? Pourtant, en regardant autour de lui, force lui fut de constater qu'il avait été le seul du peloton à réagir de cette manière. Une euphorie générale avait vite envahi l’ensemble des militaires. Tous avaient eu la sensation d'avoir été envoyés en permission. Tous, sauf Greg. Il avait horreur de la nature et passer une journée dans une jungle africaine sous un soleil de plomb ne correspondait pas à l'image qu'il se faisait d'une journée de vacances. Mais les autres avaient jubilé comme si on les avait envoyés boire un whisky dans un bar de Kigali.

     Greg ne comprenait pas leur réaction, mais un ordre était un ordre et il accomplirait son devoir, quoi qu'il arrive. Ils s'étaient donc équipés pour la mission et étaient partis avec quatre jeeps. Greg ne s'était pas trompé. Ils avaient passé la journée à jouer à Gorille dans la brume, le film avec Segourney Weaver qui était sorti cinq ou six ans plus tôt. Greg n'avait pas vu le film. Dans la filmographie de l'actrice, il préférait Alien. Il ne voyait pas l'intérêt de réaliser un film sur une femme qui passe dix-huit ans de sa vie à câliner des gorilles.

     Cinq minutes après être rentrés, Greg entendit le lancement des deux missiles. Il localisa l'origine du bruit et se tourna vers la colline Masaka.

     — Là, cria-t-il. Deux missiles sol-air.

     Plusieurs hommes se joignirent à lui pour contempler le spectacle. Greg anticipa la trajectoire des projectiles et aperçut leur cible : un avion était en approche de l'aéroport de Kanombe. Un Falcon-50. Un petit avion de dix-neuf mètres d'envergure propulsé par trois turboréacteurs. Un jet privé très prisé par les riches hommes d'affaires, mais celui-ci était particulièrement reconnaissable. Il s'agissait de l'avion du président Habyarimana, le chef hutu du gouvernement rwandais. Le premier missile manqua sa cible, frôlant de justesse la queue de l'appareil. La seconde fusée rattrapa l'échec de la première. Elle percuta de plein fouet le flanc du petit avion qui s'enflamma instantanément. Ce fut une grosse boule de feu qui s'écrasa non loin du palais présidentiel sous les yeux ébahis des militaires belges. Après le crash assourdissant, un silence de mort tomba sur la capitale. Plus un bruit. Plus un cri d'oiseau. Plus un battement d'ailes de moustique. Comme si les oiseaux et les moustiques étaient aussi choqués par la mort du président que les humains qui assistaient à cette scène. Comme si les oiseaux et les moustiques respectaient cet homme abattu de sang-froid. Comme si la faune locale craignait autant que la majorité de la population la fin d'un processus de paix dont la réalisation dépendait principalement de cet homme d'État.

     Même s'il avait semblé interminable, le silence ne fut que de courte durée. Tout de suite, les sirènes de l'aéroport, où était stationnée la majeure partie des forces de la Minuar, retentirent. Le lieutenant du Mortier arriva et rassembla la section à laquelle Greg appartenait.

     — Messieurs, cria-t-il, le président rwandais Habyarimana et le président du Burundi sont morts. Leur avion vient d'être abattu. Nos ordres sont d’aller faire le plein avec deux jeeps à l’aéroport et d’y attendre d’autres instructions. Donc, départ dans cinq minutes.

     En arrivant à l'arsenal, la pièce où ils entreposaient leur matériel, ils furent accueillis par la voix emphatique et grésillante de l'animatrice phare de Radio Mille Collines.

     — Nous interrompons nos programmes pour un bulletin d'information spécial. Notre président bien aimé est mort. L'avion présidentiel a été abattu au-dessus de l'aéroport de Kanombe, où réside la force belge des Nations unies. Il ne fait aucun doute que des soldats belges ont tiré de sang-froid sur notre président. D'après nos informations, des témoins ont vu les tireurs sur la colline Masaka et reconnu l'uniforme des militaires belges. Nous qui appelons depuis des mois à se méfier des colonisateurs belges, nous sommes désolés de ne pas avoir été écoutés. Notre président bien-aimé en a payé aujourd'hui les conséquences. Cela ne peut plus durer. Les militaires belges doivent quitter notre territoire national, au lieu de s'acoquiner avec les Tutsis, nos ennemis de...

     Le flot de haine que l'animatrice déversait sur ses auditeurs fut interrompu par un bruit fracassant de plastique brisé. Le lieutenant, furieux, était entré sans rien dire, s'était emparé du transistor et l'avait projeté de toutes ses forces contre le mur.

     — Est-ce que je ne vous avais pas dit que je ne voulais plus entendre cette merde ? Le prochain que je prends à écouter ces conneries, il passe trois jours au trou. Bon, vous n'êtes pas censé vous préparer ?

     Personne ne répondit. C'était une pure question rhétorique. D'ailleurs, le lieutenant quitta la pièce dès qu'il eut achevé sa phrase. Greg ne pouvait s'empêcher de repenser à ce qu'il venait d'entendre. Se pouvait-il que des soldats belges s'en soient pris au président ? Ils avaient accès à des lance-missiles, mais pourquoi auraient-ils fait cela ? Cela semblait invraisemblable. Puis, Greg se rappela l'incident de la veille et le vol des uniformes. Ceux qui avaient assassiné le président voulaient leur rejeter la responsabilité et faire des soldats belges leur bouc émissaire. Il se rappela également la haine qu'il avait perçue dans les regards de la population la veille. Un frisson lui parcourut le dos. La situation ne pouvait pas s'améliorer et en ce moment, il aurait souhaité que le reste de son peloton pense la même chose. Malheureusement, le choc causé par la mort du président s'estompait déjà et la bonne humeur refaisait son apparition sur les visages de ses camarades. Même le lieutenant ne paraissait pas contester le fait qu'on n'ait pas monté les mitrailleuses lourdes sur les jeeps. Le temps était compté. La section se divisa en deux groupes qui prirent place dans les deux véhicules tout terrain prévus pour la mission.

     Le court trajet jusqu’à l’aéroport se déroula sans incident. Ils firent le plein sur le tarmac de l’aéroport, et patientèrent jusque bien après la tombée de la nuit. Les onze hommes commençaient à être fatigués. La journée avait beau avoir été plus touristique qu’opérationnelle, elle n’en avait pas moins été éreintante. Personne cependant n’osa s’aventurer à fermer les yeux. Ils étaient en situation de crise, et devaient être disponibles à tout moment. Vers deux heures du matin, le lieutenant reçut de nouveaux ordres du quartier général, qu’il communiqua à ses hommes séance tenante.

      — La population commence à s’agiter. On peut s'attendre à des émeutes dans la région. Madame Agathe veut faire une allocution à la radio pour dire à la population de se calmer. Nos ordres sont d'aller la chercher et de l'escorter au studio de Radio-Rwanda. Prenez quelques bidons d’essence, on repasse à Viking chercher les deux autres jeeps.

     La situation était loin d’être aussi calme qu’auparavant. Ils arrivèrent sans encombre jusqu’à leur cantonnement, mais beaucoup d’indigènes étaient descendus dans la rue et leur comportement à l’égard des militaires n’avait rien d’affectif. Certes, Greg ne se souvenait pas qu’il l’ait jamais été, mais l'antipathie qui empestait l'atmosphère était telle qu'elle en devenait presque palpable. Certains gueulaient, d’autres les menaçaient, d’autres encore crachaient sur leur passage. Après avoir récupéré les deux autres jeeps, ils prirent la direction du domicile d’Agathe Uwilingiyimana, le Premier ministre du Rwanda.

mardi 3 janvier 2017

Des abysses dans le désert



Le shérif avançait d'un pas sûr et décidé vers le bungalow. Son enquête commençait à peine, mais son instinct lui assurait qu’il était sur la bonne voie. Grâce à sa mémoire photographique, il se remémora sans peine la discussion qu’il avait eue avec madame Waterfield quelques heures auparavant. Sa fille était partie le week-end précédent chez son petit ami et n'en était jamais revenue. Elle n'avait jamais rencontré le jeune homme, mais connaissait son nom et savait qu'il étudiait l'informatique par correspondance. Ces informations avaient suffi à l'enquêteur pour dénicher son adresse. Arrivé devant la porte, il ouvrit la moustiquaire et frappa bruyamment à la porte.

— Monsieur Dryer ? Shérif Riverpeace. Ouvrez, s'il vous plait.

La porte s'entrouvrit et le shérif aperçut la silhouette maigre de l'étudiant. Il devait mesurer un mètre quatre-vingts et pesait tout au plus soixante kilos. Des cheveux mi-longs, gras et bouclés lui retombaient sur le visage. Il dégageait une odeur nauséabonde, un mélange de transpiration et de relents d’estomac. De toute évidence, cet adulte pubertaire n'avait pas vu la moindre goutte d'eau depuis plusieurs jours. Le shérif imaginait mal un tel individu entretenir une relation intime avec une jeune fille, mais des choses plus étranges s'étaient déjà produites. Il remarqua en outre chez son interlocuteur une respiration bruyante et essoufflée. Ses yeux balayaient son champ de vision de droite à gauche sans parvenir à fixer quoi que ce soit. Cet homme était effrayé.

— J'aurais quelques questions à vous poser. Vous avez une minute ?

En prononçant cette phrase qu'il ressassait cinquante fois par jour, le représentant de la loi était loin d'imaginer où cet interrogatoire allait l'emmener et que cette enquête s'avérerait être la plus extraordinaire de toute sa vie. Steve Dryer acquiesça d'un hochement de tête, ouvrit la porte pour faire entrer le policier et la referma derrière lui. Il désigna du regard une chaise dans la cuisine, ce que Riverpeace interpréta comme étant une invitation à s'asseoir. Il prit place tandis que l’étudiant inspectait les alentours par les fenêtres.

— Monsieur Dryer, quand avez-vous vu Sarah Waterfield pour la dernière fois ?

— Désolé. Je n'ai rien à vous proposer. Je ne peux même pas vous offrir un verre d'eau.

— Ne vous inquiétez pas, je n'ai pas soif.

— Je n'ai plus une seule goutte d'eau. J'ai fermé tous les robinets, et j'ai jeté toutes les réserves que j'avais.

Le shérif avait mis l'étrange comportement de son interlocuteur sur le compte d'une frayeur ou d'une phobie quelconque, mais à la réflexion, il était mûr pour l'asile. Comment pouvait-il espérer survivre dans cette contrée aride sans boire la moindre goutte d'eau ?

— Ce n'est pas grave. Je vous dis que je n'ai pas soif. Vous n'avez pas répondu à ma question. Quand avez-vous vu Mademoiselle Waterfield pour la dernière fois ?

— Qu'est-ce que ça peut vous faire ? Elle est morte.

Le jeune homme avait parlé d'une voix à peine audible en direction de la fenêtre, son regard toujours rivé vers l'extérieur. Qu'avait-il dit ? Le shérif n'était pas certain d'avoir compris.

— Pardon ?

Le jeune homme tourna la tête et regarda le policier droit dans les yeux.

— Elle est morte, répéta-t-il à haute voix, sur un ton presque agressif.

— Que s'est-il passé ?

Dryer se força à contrôler sa peur et parvint à s'asseoir face à l'enquêteur.

— C'était il y a trois jours. Il faisait chaud, alors elle a proposé d'aller se baigner. Elle avait découvert un lac non loin d'ici. Une trentaine de kilomètres vers le sud. Une demi-heure en voiture.

Le shérif s’interrogea sur le crédit qu’il devait accorder aux dires du jeune homme visiblement dérangé. Au sud, le désert s'étendait sur des centaines de kilomètres. Il était peu probable de trouver ne serait-ce qu'une flaque d'eau. Que dire d'un lac dans lequel on pourrait se baigner ?

— Moi, j'étais pas trop pour. J'ai toujours eu peur de l'eau. Je ne sais pas nager, mais d’un autre côté, je n'ai jamais rien pu lui refuser. On y est allés tous les deux, avec ma voiture. C'était vrai, l'endroit était paradisiaque. Une immense étendue d'eau au milieu du désert de l’Arizona. On était seul au monde. On s'est couché par terre et on s'est embrassé. C'était romantique. Puis elle a voulu se baigner…
L'expression nostalgique qui avait illuminé ses traits durant quelques secondes disparut pour laisser place à la tristesse et à la culpabilité.

— Elle a essayé de m'entraîner dans l’eau, mais, comme je l'ai déjà dit, je ne sais pas nager. J'ai paniqué, j'ai crié et finalement, elle y est allée toute seule.

Un silence dramatique s'installa. La gorge du jeune homme se noua à l'évocation de ce souvenir douloureux. Le shérif lui laissa le temps de formuler ses idées.

— La dernière chose que j'ai entendue, c'est le cri strident qu'elle a poussé quand quelque chose l'a tirée vers le fond.

Riverpeace le considéra d'un air incrédule.

— Qu'avez-vous fait ?

— C'était bizarre. J'ai couru vers le lac. L'eau était très claire et je pouvais la voir. Elle ne se débattait pas. Elle ne coulait pas, mais elle ne remontait pas non plus. Elle était juste figée sous la surface. J'ai essayé de l'attraper. J'ai plongé la main, mais dès que mes doigts ont touché l’eau, j’ai senti quelque chose qui m’entraînait. J'ai juste eu le temps de retirer la main.

— Et ensuite ?

— Je me suis enfui. J'ai couru vers la voiture et je suis revenu ici. Je me suis enfermé et j'ai évité tout contact avec la moindre goutte d'eau. 

— Vous n'avez pas soif ?

— Si.

— Je vois. Pourquoi n'avez-vous pas prévenu la police ?

— Je ne sais pas. J'y ai pensé, mais… J’avais honte de l'avoir abandonnée, et j'avais peur qu'on ne me croie pas. Et puis, …

— Oui ?

— Je l'ai revue plusieurs fois depuis.

— Qui ?

— Sarah.

— Vous avez dit qu'elle était morte.

— Ce que j'ai vu n'avait rien de vivant, mais elle rôde autour de la maison. Elle est toujours trempée, et je ne la vois jamais que quelques secondes, mais elle est là, j’en suis sûr. Elle m'en veut de l'avoir abandonnée.

Des larmes dans les yeux, Steve Dryer tourna la tête vers la fenêtre et fut instantanément envahi par une frayeur indescriptible.

— Là, cria-t-il en se jetant sur le sol, vous la voyez ? Dehors.

Le shérif inspecta les environs, mais ne décela rien d'anormal.

— Désolé, je ne vois rien. Vous avez dû faire erreur.

— Vous croyez que je suis fou, c'est ça ?

— Ce n'est pas mon rôle de vous juger.

Le shérif Riverpeace prit congé de son hôte et retourna vers sa voiture. Il s'installa au volant et tenta d'éclaircir la situation. Le jeune Dryer avait visiblement vécu un traumatisme qui lui avait fait perdre la raison. Il avait besoin d'aide, c'était indéniable. S'il n'avait rien bu depuis trois jours, sa vie était en danger. La déshydratation était peut-être la cause des hallucinations dont il était victime, mais cela n'expliquait pas comment une jeune femme avait pu se noyer dans le désert. La seule théorie que le shérif pouvait émettre en ce moment était que le jeune homme avait tué sa petite amie, mais que, sous l'effet de la culpabilité et du manque d'eau, son subconscient s'était formé une réalité alternative dans laquelle son rôle était moins équivoque. La consommation de drogue n'était pas non plus à exclure. Bien sûr, toute ces théories devraient être confirmées par un spécialiste en psychologie, ainsi que par un examen toxicologique.

Il contacta la centrale par radio et demanda des renforts, ainsi qu'une assistance médicale. Une demi-heure plus tard, une ambulance arriva, escortée par deux voitures de patrouille. Deux adjoints du shérif enfoncèrent la porte et maitrisèrent le suspect tandis qu'un infirmier lui injectait une dose de tranquillisant. Il se retrouva en deux temps trois mouvements attaché sur la civière de l'ambulance qui prit aussitôt la direction de l'hôpital le plus proche.

Le shérif fit tourner la clé de contact et le moteur gronda. Il allait les suivre lorsque, du coin de l'œil, il remarqua une apparition étrange dans le rétroviseur. Une femme aux longs cheveux noirs. Il tourna la tête pour l'observer directement, mais le temps de se retourner, elle avait déjà disparu. Commençait-il lui aussi à avoir des hallucinations ? Se pouvait-il que Steve Dryer ait eu raison ?

Il devait en avoir le cœur net. Il marqua un virage à cent quatre-vingts degrés et, prenant la direction opposée à celle empruntée par l'ambulance, il se dirigea à toute vitesse vers le sud. Au bout de trente kilomètres, il s'arrêta, descendit de son véhicule et observa les environs. Rien. Qu'avait-il espéré voir, de toute façon ? Un lac en plein désert ? C'était ridicule. Il n'y avait rien. Un sol aride et rocheux à perte de vue dans toutes les directions. Quoique. Il distinguait au loin quelque chose qu'il ne parvenait pas à identifier. Il se précipita dans la voiture et en retira la paire de jumelle qu’il conservait sous le siège conducteur. Il chercha des yeux l'endroit où se trouvait ce qu'il pensait être un cactus ou un obstacle quelconque. À travers les vers grossissants des lunettes d'approche, il distinguait clairement le corps superbe de la jeune femme qu'il avait entraperçue dans son rétroviseur. Elle le regardait, immobile. Elle avait en effet de long cheveux noirs et portait pour seuls vêtements un tee-shirt trop court, ainsi qu'une petite culotte. Mais le plus étrange était que cette femme était trempée. De l'eau dégoulinait le long de ses cheveux et de ses bras. Malgré les quarante degrés qui régnaient dans cet environnement aride, ni son corps ni ses cheveux ne séchaient.

Riverpeace regagna le volant de sa voiture et suivit la direction que lui indiquait la créature. S'agissait-il de Sarah Waterfield ? Avait-elle survécu ? Tant de questions se bousculaient dans son esprit. Il essayait de trouver la théorie à laquelle tous les faits colleraient, mais peine perdue. Soit Steve Dryer avait laissé sa petite amie pour morte dans le désert et elle avait survécu, soit il avait dit la vérité. Mais la première supposition n'expliquait pas pourquoi elle était toujours trempée après trois jours de chaleur intense, ni même comment Riverpeace avait pu la voir deux fois à plus de trente kilomètres de distance. La deuxième possibilité impliquait un facteur paranormal qui aurait pu, certes, expliquer certaines choses mais que l'esprit rationnel du shérif refusait de prendre en considération.

Soudain, l’enquêteur s'arrêta net. Il venait de voir le lac dont avait parlé Dryer. Il quitta son véhicule et courut vers l'improbable étendue d'eau. C'était impossible. Il n'y avait pas la moindre trace de végétation aux alentours. Pas plus que de Sarah Waterfield d'ailleurs. Où était-elle ? Elle l'avait guidée jusqu'ici, elle ne pouvait pas avoir disparu. Il se pencha au-dessus de l'eau et remarqua à quel point ce lac était curieux. Il était incapable d'en estimer la profondeur. Il distinguait une surface très claire, mais là où il aurait dû voir un fond de sable fin, il ne discerna qu'une zone d'ombre semblable aux abysses, ces fonds marins si profonds que la lumière du soleil ne peut les atteindre. Il longea le lac sur une centaine de mètres, cherchant des yeux un endroit où le fond serait visible. En vain. Cette étendue d'eau s'apparentait plus à un bassin artificiel qu'à un phénomène naturel. Certes, sa forme arrondie et aléatoire confirmait la thèse de l'origine naturelle, mais le fait que les bords coulaient à pic sur toute la périphérie la réfutait.

Quelque chose remua dans l'eau et attira l'attention du shérif. Des cheveux. De longs cheveux noirs qui ondulaient sous la surface. Sarah Waterfield était là, exactement comme l'avait décrite Steve Dryer. Sans réfléchir à l'absurdité de la situation et ne suivant que son instinct protecteur face à une dame en détresse, il plongea la tête la première. La frayeur le saisit : au lieu de remonter à la surface, une force invisible le maintenait sous l'eau. Il retenait toujours sa respiration, mais la panique l'envahit. À grand renfort d'amples mouvements de bras et de jambes, il nagea vers le haut, tentant de vaincre un courant imperceptible. Rien. Il n'avançait pas d’un centimètre. Tous ses efforts n’eurent d'autre effet que de l'épuiser encore plus vite. Bientôt, le manque d'oxygène se fit sentir. Il ne pouvait retenir sa respiration plus longtemps. Il allait mourir. C'était inévitable et il devait l'accepter. Il ferma les yeux, ouvrit la bouche et laissa l'air contenu dans sa cage thoracique s'échapper.

L'eau emplit ses poumons, s'infiltrant par la bouche et par le nez. Par un procédé chimique spontané, les molécules d'eau se décomposèrent. Les atomes d'hydrogène se transformèrent en atomes d'oxygène et se recomposèrent en molécules d'air respirable qui alimentèrent le corps du shérif. Le processus s'inversa lors de l'expiration. Les atomes de carbone dont l'air vicié était chargé se transformèrent en atomes d'hydrogène qui se réorganisèrent en molécule d'eau qui furent expulsées vers l'extérieur.

Le shérif n'en revenait pas. Il respirait sous l'eau. Mais ce ne fut pas la seule conséquence à laquelle il dut faire face. En utilisant son système respiratoire, l'eau était parvenue à infiltrer son sang, et ainsi tous ses organes vitaux, y compris le cerveau. Riverpeace sentit une connexion s'établir entre lui et son environnement aquatique. C'était un sentiment indescriptible. C'était comme si l'eau était vivante et essayait de communiquer. Une relation symbiotique entre l'eau et l'être humain. Pas seulement ces eaux-ci. Toute l'eau de la planète n'était en fait qu'une seule conscience dotée de perception. Riverpeace ressentait l'engourdissement des eaux gelées des pôles, la sensation de légèreté des gouttes s'évaporant vers les nuages, la tension électrique des nuages orageux et la chute vertigineuses des pluies torrentielles. Il ressentait le courant du Gulf Stream, et le léger chatouillement agréable produit par chacun des êtres vivants se tortillant dans l'immensité des océans. Mais il ressentait aussi le dégout que l'eau éprouvait à chaque marée noire. Cette sensation nauséeuse produite par les radiations des déchets nucléaires que l'homme préférait immerger pour ne plus avoir à s'en préoccuper. Le shérif percevait aussi bien la paix et la tranquillité des lacs de forêt que l’horreur de chaque cloaque et de chaque fosse septique. Mais l'eau avait désormais trouvé le moyen de se défendre. Elle avait appris à se mouvoir, à se contrôler. Elle était parvenue à se frayer un chemin jusqu'à une région hostile. Goutte après goutte, elle s'était accumulée dans ce désert, à une profondeur suffisante pour survivre. Elle était parvenue à contrôler son évaporation et avait réussi à éroder ses limites extérieures. Elle concentrait toute sa volonté sur cet environnement limité qu'elle utilisait comme laboratoire. Elle expérimentait. Elle explorait sa conscience et repoussait sans cesse les limites de son champ d'action. Bientôt, elle pourrait contrôler les rivières, les mers et enfin les océans.

Le shérif Riverpeace ouvrit les yeux. Sarah Waterfield nageait devant lui. Ils étaient les premiers. Les premiers représentant d'une nouvelle espèce. Une civilisation hybride, faisant le lien entre les milieux terrestres et aquatiques. D'autres suivraient.

* * *

L'adjoint du shérif pénétra dans la chambre d'hôpital de Steve Dryer. Le shérif Riverpeace avait disparu depuis trois jours et le jeune homme semblait être la dernière personne à lui avoir adressé la parole.

— Monsieur Dryer ? J'aurais quelques questions à vous poser. Vous avez une minute ?